En mission dans la région de Gao, j’ai eu l’opportunité de côtoyer au cours d’une session de formation, une trentaine de femmes animatrices de 14 cercles des régions de Tombouctou, Gao et Ménaka. Passionnées de radio, elles font pour la plupart un travail bénévole au sein des radios de leurs communautés. Je me suis amusée à recueillir les témoignages de trois d’entre elles.
Lalla Mahamane Yattara : besoin juste de dictaphone
Animatrice à la première radio communautaire du cercle d’Ansongo à 100 kilomètres de la ville de Gao. A la radio Adahar Koukia qui l’a accueilli depuis 2004. La cinquantenaire se plait dans ce travail, qui ne rend pas riche mais contribue énormément au développement de la communauté. Elle anime deux émissions, une sur les recettes de cuisine et une de sensibilisation à l’endroit des jeunes. Ses temps d’antenne sont généralement en langue songhoy et en français. Quand on lui pose la question de pourquoi le choix du micro, sa réponse est sans hésitation : « Donner ma voix pour sensibiliser ma communauté est l’un des meilleurs choix de ma vie ». C’est une passion non rémunérée. D’ailleurs, dans cette partie du pays la majorité des femmes des radios travaille volontairement, guidée par l’amour du métier.
Elle nous confie que grâce à ses émissions de cuisine, par exemple, les femmes font le bonheur de leurs époux. Ces derniers la félicitent d’ailleurs régulièrement pour les idées de recettes saines qu’elles donnent aux auditrices. « Je reçois régulièrement des compte-rendu de mes auditrices » nous confie t-elle.
Malgré le manque de salaire et de formation, elle dit n’avoir pas eu de difficultés dans son travail d’animatrice.
La collaboration avec les collègues hommes se passe bien au sein de sa radio, car dit-elle, il faut d’abord se respecter.
« Mes émissions apportent beaucoup de plus à l’engagement des jeunes de la communauté et au bien-être des familles, ce qui fait que pendant les récoltes, nous recevons assez de cadeaux à la radio.
Nos autorités coutumières et religieuses n’ont aucun problème avec la présence des femmes dans les radios, ils savent et reconnaissent chaque fois que nous avons l’occasion de nous voir l’importance des messages que nous véhiculons dans nos radios. Les dirigeants n’ont vu aucun problème dans le fait qu’une femme présente à la radio. « certains de nos marabouts approuvent le contenu mais pas les intervales musicales qui y passent, j’essaye toujours avec assez de diplomatie de leur expliquer que c’est ce qu’il faut »
Pendant l’occupation djihadiste les femmes n’avaient ni le droit de parler, ni de sortir, donc nous avons laissé la radio jusqu’au jour où nos localités ont été libérées de l’occupation djihadiste. »
Pour les aides à leur apporter, ces femmes animatrices demandent le minimum : « J’aimerais qu’on nous aide avec des dictaphones pour nous faciliter les interviews. »
Zeinabou ahimidi haidara : mes messages s’adressent aux femmes, parce qu’elles sont détentrices de la paix
« Je m’appelle Zeinabou Ahimidi Haidara, j’ai 65 ans, je suis animatrice à la radio Communautaire Taboye. Je travaille à la radio depuis 13 ou 14 ans. Je sensibilise la population en dénonçant ce qui va de travers dans la ville. Je présente Soubbaho kanibano (Bonjour matinal) avec des messages de sensibilisation sur l’hygiène de la femme et des enfants.
Selon certaines personnes, je suis trop vielle pour présenter une émission à la radio. J’aime pourtant ce travail et c’est à cause des changements positifs sur la société que je l’ai choisi. Il est bien vrai je n’ai pas assez de force dans l’animation car je n’ai reçu aucune formation mais cela ne m’empêche pas de me donner corps et âme.
Il faut reconnaître que n’importe qui ne doit pas travailler dans l’animation, car un seul mot de travers peut détruire toute la population. Donc il faut savoir se maitriser en tant que journaliste ou animateur. C’est d’ailleurs d’un côté ce qui m’a poussé à aimer ce travaille malgré ce qui se raconte.
Nous avons beaucoup de difficultés en plus du manque de formation, on manque de matériel et surtout ici à radio Communautaire, il n’y a qu’un seul micro pour tous, souvent nos batteries source d’électricité, nous lâchent en pleine émission.
A part l’animation, je suis la présidente des femmes, je les sensibilise sur comment vivre plus sainement.
On s’adresse aux femmes, parce qu’elles sont détentrices de la paix. Si elles veulent, la paix s’installera, car elle se trouve dans les mains des femmes. Nous nous adressons aux femmes, afin qu’elles sachent que nous avons assez perdu de maris, d’oncles, et d’enfants… Donc donnons-nous la main et luttons pour que la paix s’installe. C’est ce que nous lançons comme message actuellement. LA GUERRE ne fait que nous détruire. »
Hawa Touré : Il y’a 11 animateurs ici à la radio. Je suis la seule femme. Au début cela provoquait beaucoup de préjugés vis-à-vis de moi
« Je m’appelle Hawa Touré. J’ai 46 ans, et je suis animatrice à la radio communautaire de Bourem depuis 8 ans. Je présente le Bonjour matinal « Soubbaho kanibani », et aussi « le Coin de la femme » avec des messages de sensibilisations dans plusieurs domaines d’intérêt pour les femmes.
A mes débuts j’avais beaucoup de difficultés, mais de nos jours, grâce à Dieu, je maitrise beaucoup de choses. Par contre, j’ai beaucoup de problème de déplacement et je suis confrontée au jugement de la population. Celle-ci nous critique sans même nous connaitre. Certaines personnes se doutent de mes messages de sensibilisation, n’étant pas convaincues que je pratique moi-même ces conseils. Néanmoins, les gens comprennent de plus en plus et il y’en a même qui nous appellent pour partager leur connaissance sur les thèmes, ou pour apprécier l’émission.
Il y’a 11 animateurs ici à la radio. Je suis la seule femme. Au début cela provoquait beaucoup de préjugés vis-à-vis de moi. Surtout que je n’étais pas seulement la seule femme, mais aussi divorcée. Mais aucune critique n’a jamais réussi à me décourager. Les femmes ont encore peur de travailler comme animatrice car les hommes affirment qu’ils ne se marieront pas avec une animatrice.
Parlant de la crise que nous avons connue, elle n’est pas totalement terminée, nous vivons avec beaucoup d’insécurité autour. Avant la crise, les gens arrivaient à se débrouiller, mais aujourd’hui il y’a beaucoup de difficultés. A titre d’exemple, les commerçantes sont attaquées et dépossédées de leurs marchandises. ».